Angelos Yokaris
Professeur de Droit International – Faculté de Droit d’ Athènes
Les développements qui suivent ont pour objet l’appréciation pénale du crime international du génocide à travers les Travaux , Consultations et Conférences diplomatiques qui ont abouti aux Traités de Versailles (1919) et de Sèvres (1920). Et ceci parce que c’est à cette période précisément qui ont vu le jour les premiers éléments qui composent le fondement juridique des crimes contre l’humanité avec référence explicite au génocide des ar-méniens mais aussi à l’extermination des grecs du Pont-Euxin dont la tra-gédie a eu peu d’écho dans la bibliographie internationale.
1. Le cadre géographique
L’Arménie se situe entre le Caucase, au nord-est, et le Taurus, au sud-est et avec une superficie de 400.000 kilomètres carrés elle s’étend de la Turquie jusqu’à l’Iran en passant par la Syrie, l’Iraq et la Géorgie. De nos jours son territoire étatique se réduit à seulement 29.800 kilomètres carrés.
En ce qui concerne la population d’expression grecque, son lieu d’implantation s’étendait sur le littoral de la Mer Noire, « Pont-Euxin », appelation qui, provient du « Pont-Axin » (mer noirâtre), d’où ce qui est communément appelé « Mer Noire ». En fait, cette Région a été appelée « Pont-Euxin », ce qui signifie « Pont hospitalier , pour l’apaiser parce que la mer est toujours agitée avec des tempêtes et des intempéries.
Ce territoire a été habité à partir le 8e siècle avant J.C. et, depuis le 9e siècle après J.C. , sa population était, en majorité, composée des grecs ou parlant grec. Après le 16e siècle après J.C. ce territoire était habité par des grecs et des arméniens et la plupart d’entre eux étaient des chrétiens ortho-doxes.
2. Le cadre historique
Des massacres des arméniens avaient déjà été signalés en 1890 et 1897 et des purges contre les grecs du Pont-Euxin avaient eu lieu en 1897 après l’éclatement de la guerre entre la Grèce et la Turquie et les évène-ments en Crète où des bandes armées s’étaient déchaînées contre des cré-tois d’origine grecque, d’autres, contre des crétois d’origine turque.
En 1913, avant même l’éclatement de la première guerre mondiale, et dans la tourmente des guerres balkaniques, des mesures coércitives avaient été prises contre les arméniens et les populations d’expression grecque du Pont-Euxin et elles se sont intensifiées en 1914, orientées, désormais , vers une épuration éthnique.
Pour faire face, un mouvement de résistance s’est développé où armé-niens et grecs lutaient ensemble, des conscrits réfractaires et des déserteurs des bataillons de travail s’insurgeaient, parfois, même, des groupes armés ont été constitués où arméniens et grecs s’efforçaient de faire front com-mun contre les persécutions, surtout à partir de 1915.
En effet, simultanément avec le début des hostilités en 1914, les « Néoturques », instigateurs de l’épuration éthnique de l’Empire Ottoman, ont déclenché des persécutions méthodiques et systématiques contre les populations d’expression grecque du Pont-Euxin et contre les arméniens qui se sont intensifiées avec le recours à de mesures de mobilisation forcée, par la création de bataillons de travail et, après l’effondrement du front oriental face aux Russes, par des mesures de déportation, de déplacement forcé des populations vers les régions du sud-est, surtout dans les territoires kurdes, et ces persécutions orchestrées ont été marquées par des exécutions massives, d’actes de torture, de viols, de pillages et de destructions de vil-lages et de biens, entre autres.
Après la prise de Trébizonde par les troupes russes, les autorités tur-ques ont procédé à la conversion forcée à la religion musulmane de tout ceux qui n’ont pas été enrôlés de force aux bataillons de travail, mobilisé ou déportés.
Ces évènements ont été relatés en détail dans les rapports que les consuls européens accrédités sur place adressaient à leurs gouvernements et on les retrouve également dans les rapports alarmants des missions sur place d’organisations humanitaires américaines.
Sur ce point il faut noter que ces persécutions de masse n’étaient pas clairement départagées, dans les rapports officiels de l’époque, ente armé-niens et grecs du Pont-Euxin parce elles ont eu lieu pendant la même pé-riode et que, d’un accord commun, elles étaient qualifiées, dans les docu-ments archivés, de « massacres commis par les autorités turques contre des populations de citoyenneté ottomane », arméniens ou grecs du Pont-Euxin.
Pourtant, dans la bibliographie internationale a été mis – et à juste titre – bien en évidence le génocide des arméniens – qui a été reconnu par cer-tains Parlements nationaux et, même, sa contestation constitue un délit pu-nissable, pour ne citer que la France – tandis que les persécutions contre les populations d’expression grecque du Pont-Euxin sont méconnues dans les écrits des auteurs, certains, même, de signature « autorisée ».
Les populations arméniennes et grecques du Pont-Euxin, ont connu, à leurs dépens, toutes les catégories d’actes criminels dont les éléments ob-jectifs constituent le crime de génocide décrit à la Convention de 1948. À titre indicatif on peut citer, à l’article II de la Convention, la déportation et le déplacement massif et forcé des populations dont le caractère criminel consiste à la soumission du groupe, de façon intentionnelle, à des condi-tions de subsistance qui peuvent conduire à son anéantissement.
L’invocation, éventuellement, par les autorités turques de l’« état de nécessité » - guerre sur trois fronts, désertions massives, résistance, souvent armée, contre les persécutions – pourrait donner une apparence de légitimi-té à la déportation massive et forcée des populations des zones des opéra-tions, mais dans aucun cas ne pouvait écarter, dans le processus de l’appréciation pénale, le caractère inhumain et discriminatoire des mesures coércitives à grande échelle contre certains groupes particuliers.
Les massacres perpétrés, surtout en 1915, par le retentissement qu’ils ont eu, ont suscité la problématique de la protection des minorités éthniques par le recours à l’identification des « lois de l’humanité ».
3. Le cadre juridique
La situation où des massacres de minorités éthniques ont lieu à l’intérieur des frontières de l’Etat par les autorités de cet Etat soulève des problèmes de responsabilité, tant individuelle qu’étatique à l’échelle inter-nationale. Dans de très rares cas, le droit international a joué un rôle dans la protection des groupes nationaux de particularités raciales, éthnique ou re-ligieuses contre leurs persécuteurs, organes de l’Etat. Dans l’histoire de l’Empire Ottoman, il y a eu de Traités qui ont envisagé la protection des minorités chrétiennes, et tel fut le cas, p.ex., du Traité de Paix entre la Rus-sie et la Turquie, le Traité d’Adrinople du 14 Septembre 1829.
Pour trouver des traces à la référence aux « lois de l’humanité » comme bouclier de protection, il faut remonter à la IVe Convention de la Haye de 1907 sur les « lois et coutumes de la guerre sur terre » dont le hui-tième paragraphe du Préambule énonce le principe que les belligérants de-meurent sous la protection du « droit des nations qui dérivent des pratiques établies entre les peuples civilisés et des lois de l’humanité … ». Néan-moins, ni la Convention, ni le Règlement Annexé se réfèrent à des « crimes contre l’humanité » .
La référence aux « lois de l’humanité » a trouvé une signification juri-dique entraînant l’attribution de responsabilité sur le plan international dans la Déclaration commune du 24 mai 1915 des Puissances belligérantes de l’Entente, la France, la Grande Bretagne et la Russie, qui ont dénoncé les massacres perpétrés par les autorités turques, en les qualifiant de »crimes contre l’humanité et la civilisation », et elles ont informé publiquement la Porte Sublime que tout les Membres du Gouvernement Turque et leurs or-ganes seraient reconnus responsables de ces crimes ».
Cependant, cette Déclaration, tout en amorçant une dynamique, n’a pas eu de suite jusqu’à la fin des hostilités.
Plutard, à la Conférence de la Paix à Paris, le Ministre des Affaires Etrangères de la Grèce, N. Politis, a proposé la création d’une nouvelle ca-tégorie de crimes désignés comme « crimes contre l’humanité », l’intention état la répression des massacres perpétrés par les autorités turques contre les arméniens et les grecs du Pont-Euxin.
À la suite de cette proposition fut constituée, le 25 janvier 1919, pen-dant la seconde session Plénière de la Conférence de la Paix à Paris, une Commission de Juristes sur les « responsabilités des auteurs de la guerre et sur l’exécution des peines » .
La Commission a siégé pendant deux mois et elle a ressenti comme justifié l’établissement de charges pour des « crimes contre les lois de l’humanité » se situant au prolongement de la clause « Martens ».
La majorité des membres de la Commission a conclu en statuant que « les lois élémentaires de l’humanité ont été violées et des personnes enne-mies sont exposées à des poursuites pénales pour violation des lois de l’humanité, si elles sont prouvées coupables ».
En effet, la clause « Martens », stipulée dans le Préambule de la IVe Convention de la Haye, précise que « … dans les cas non prévus par les dispositions réglementaires adoptées par les parties contractantes, les popu-lations et les belligérants restent sous la sauvegarde et sous l’empire des principes du droit des gens, tels qu’ils résultent des usages établis entre les nations civilisées, des lois de l’humanité et des exigences de la conscience publique ».
Cela s’est traduit par la conviction de la Commission qu’elle pouvait élargir la liste des crimes de guerre qu’elle avait établi ou la compléter au fur et à mesure des besoins et, en fait, elle a ajouté d’autres faits punis-sables, comme les arrestations en masse effectuées au hasard.
La liste établie par la Commission des Juristes instituée par la Confé-rence des Préliminaires de Paix en 1919 comprenait meurtres et massacres, terrorisme systématique, tortures infligées aux civils, famine imposée aux civils, viols, déportation, internement des civils dans des conditions inhu-maines, travail forcé de civils, confiscation, destruction de biens, arresta-tions en masse.
La Commission a donc estimé qu’il était dans son droit de proposer, dans son Rapport, soumis le 29 mars 1919, au Chapitre II que « … toutes les personnes des Nations Ennemies qui seraient trouvées coupables d’actes contraires aux lois de l’humanité devraient être soumises à des poursuites pénales ».
À l’Annexe I du Rapport de la Commission, des charges étaient rete-nues pour meurtre, exécutions en masse, torture et déportation, déplace-ment forcé des populations dans des conditions frisant l’extermination, per-pétrés par les Autorités Ottomanes contre des sujets turques à partir le 1er août 1914. La référence à des sujets de nationalité turque comprenait les arméniens et les grecs du Pont-Euxin. La bibliographie internationale, ce-pendant, a concentré son attention, en grande partie, uniquement aux armé-niens en tant que victimes du génocide.
La référence faite dans le Rapport aux « lois de l’humanité » pour la qualification criminelle des actes retenus comme punissables n’a pas été concluante et le Traité de Versailles n’a pas prévu de procédures d’incrimination.
La raison pour cela se retrouve aux procès – verbaux des Travaux de la Commission. En effet, les propositions de la majorité des membres se sont heurtées aux objections des représentants des Etats Unis et du Japon. Les deux représentants américains ont insisté en avançant que la référence aux « lois de l’humanité » ne devrait pas être introduite au Traité de Ver-sailles, à son art. 228, car, comme ils ont soutenu, il ne pouvait pas être démontré qu’ une conception claire et commune sur le contenu de cette no-tion avait été formée à l’époque et que, donc, cette notion ne pouvait être considérée comme relevant du droit coutumier en tant que droit préexistant aux faits que l’on tentait à incriminer .
Pourtant, il y a eu des cas de poursuites pénales en Turquie confor-mément à la loi du 8 juillet 1919 sur « l’organisation et l’exécution des massacres contre la minorité arménienne (par coutumace) .
Il faut, cependant, reconnaître que, jusqu’à 1920, le droit international ne reconnaissait pas l’existence de règle d’imputation pour des crimes commis par des organes nationaux, ou sous l’incitation des autorités natio-nales, en tant que crimes contre l’humanité.
Il a fallu attendre le Traité de Sèvres du 10 juillet 1920 (Entente - Tur-quie) pour voir une tendance vers la reconnaissance des crimes contre l’humanité commis à l’encontre des lois sur l’humanité. A cet effet, réfé-rence spéciale était faite à l’art. 230.
En effet, les actes décrits dans le Rapport de la Commission ont été reconnus, quelques mois plutard, au Traité de Sèvres, entre les Puissances Alliées et la Turquie, comme punissables aux articles 226-230.
Aux termes de l’art. 226, le Gouvernement Tuque a reconnu le droit des Alliés de traduire devant des Tribunaux les personnes responsables pour les massacres commis sur son territoire depuis le 1e août 1914 contre des populations ayant la nationalité turque et il s’est engagé à livrer les pré-sumés coupables aux tribunaux qui seraient institués conformément à l’art 230.
Les prévisions des articles 226 à 230 se référaient à des massacres in-tervenus dans le cadre du déplacement forcé et de la déportation massive des populations qui comprenaient des arméniens et des grecs du Pont-Euxin de nationalité ottomane.
L’art. 230 établissait une obligation de livrer toutes les personnes re-quises pour des massacres commis durant l’existence de l’état de guerre dans les territoires qui faisaient partie de l’Empire Turque le 1er août 1914.
Les Puissances Alliées désigneraient les tribunaux compétents et la Porte Sublime serait obligée de les reconnaître. Dans le cas où la Société des Nations établirait de tels tribunaux, les Puissances Alliées se réser-vaient le droit de traduire en justice les présumés coupables et les Autorités Turques seraient obligées de le reconnaître.
Cet article a constitué un précédent pour l’art 6e du Tribunal Interna-tional Militaire de Nuremberg : il a établi les données objectives pour la catégorie des crimes contre l’humanité.
L’épilogue malheureux de cette tragédie fut la non-entrée en vigueur du Traité de Sèvres. Arméniens et grecs du Pont-Euxin furent abandonnés à leurs persécuteurs. Le Traité de Sèvres à été remplacé par le Traité de Lau-sanne, relatif à la Paix, du 24 juillet 1923 (AJIL, Suppl. 1924), qui, non seulement ne comprend des règles de répression pénale, mais il a une An-nexe non publiée contenant une Déclaration d’amnistie garantissant la non- poursuite pénale de nationaux turques pour la période ente le 1er août 1914 et le 20 novembre 1922.
Τετάρτη 3 Ιουνίου 2009
L’appréciation criminelle du génocide dans la pratique diplomatique et conventionnelle de 1915 à 1923
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